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La Bourgogne fascine. Les amateurs de vins viennent ici en pèlerinage, à la recherche peut-être d'un sacré perdu ? Ils parcourent la bien nommée Côte d'Or, émaillée de villages aux noms enchanteurs, aux volets mi-clos. Pas de flons-flons, de grands châteaux, aucun feu d'artifice, mais un parfum de ruralité profonde, une volonté de garder les pieds sur terre, de préserver son indépendance.
Après les années difficiles d'après-guerre, la Bourgogne a repris sa place dans le concert des grands vins de France. Depuis longtemps, les moines ne cultivent plus les vignes et les abbayes contemplent leur gloire passée, mais qu'importe ! Ici, le temps s'est presque arrêté... Du moins, il coule plus lentement, au rythme des petites rivières et ruisseaux que l'on rencontre dès qu'on se sort des sentiers battus. Voyager en Bourgogne, c'est alors entrer dans une durée différente. On retrouverait presque les sensations d'un Dumay parcourant, durant l'après-guerre, ce pays de vignes et de bocages : "Une ligne de crêtes parfois rompue par une combe, en contrebas un fin rideau de vignes à peine penché, des villages serrés dans leurs bouquets d’arbres, une harmonie discrète sur laquelle glisse le regard des négligents, telle m’apparaît la voie royale des vins par ce léger matin de juillet. Plutôt belle, comme toutes les choses lorsqu’on les regarde bien. En Suisse et dans la vallée du Rhône, j’ai vu des vignes plus pittoresques, des vignes chèvres qui montent à l’assaut des rochers."
Mais surtout, voyager en Bourgogne, c'est parcourir une mosaïque géologique d'une subtilité étonnante. Avec ses lieux-dits, ses clos et ses combes, ses failles et ses murets, ses terroirs et ses 1247 climats classés inscrits au patrimoine de l'Unesco, la Bourgogne se lit verre en main comme un monde sensoriel d'une complexité rare, où chaque grand vin apparaît comme le reflet idéal du lieu qui l'a vu naître... Relier la saveur à l'origine constitue peut-être la vocation de toute vraie culture car celle-ci commence par le goût. A l'instar d'un Claude Levi-Strauss rencontrant les Indiens Nambikwara du Mato Grosso en 1938 et qui, dégustant leurs différents miels, observe que leurs "parfums profonds s'analysent en plusieurs temps, à la façon des vins de Bourgogne..."
La légende veut que, en Bourgogne, les moines allassent jusqu'à goûter la terre avant d'y planter de la vigne. Aristotéliciens de formation, ces derniers croyaient en une science classificatoire de la terre et on leur doit la plus grande partie du découpage subtil et précis des climats bourguignons. En fait, ils s'intéressaient sans doute davantage à la structure des argiles qu'au goût du terroir. Pourtant le terroir révélé est loin d'être une fable : à viticulture égale, la différence existe (pour qui sait la percevoir) entre un Richebourg et une Romanée Saint-Vivant. Même si quelques mètres à peine séparent le bas des Richebourg de la Saint-Vivant ! Mais pour révéler un climat, il faut passer par le ferment qui va fixer la saveur, à savoir l'information liée au goût du climat.
D'un point de vue géologique, les données paraissent simples : l'argilo-calcaire confère une certaine homogénéité au vignoble bourguignon. Pour traduire ce substrat, deux cépages : le chardonnay en blanc et le pinot noir pour les rouges. L’histoire du vignoble bourguignon a commencé il y a plus de 150 millions d’années, à l’ère secondaire, durant le Jurassique. C’est en effet durant cette longue période que se sont progressivement déposées les altérations de roches sédimentaires marines. Ces sédiments constituent aujourd’hui le sous-sol dont les vignes bourguignonnes tirent leur substance. Essentiellement calcaires, ils comprennent également, selon les endroits, des argiles et des marnes.
L’érection des Alpes, il y a une soixantaine de millions d’années, a en quelque sorte parachevé le travail, déterminant la topographie du vignoble. La Côte ne présente pourtant pas un relief totalement homogène : elle se trouve traversée par deux découpes transversales, le synclinal de Volnay et l’anticlinal de Gevrey (qui privilégie le calcaire à entroques du Bajocien). C’est à à partir de ces deux découpes qui, à l’intérieur du Jurassique, vont mettre en évidence des formations plus ou moins récentes, qu'on peut comprendre la différence entre le type Côte de Beaune et le type Côte de Nuits. De même, c'est le substrat géologique et sa composition qui permettent de mieux comprendre pourquoi à l'intérieur de la Côte de Beaune, certains climats sont prédisposés à produire les plus grands blancs (Meursault, Puligny et une partie de Chassagne). Dans cette zone en effet réapparaît le Jurassique moyen avec la présence de marnes blanches favorables au vin blanc. Comme si une main invisible avait distribué les cartes d'une manière idéale.
"Vision romantique" s'exclament les anti-terroiristes qui trouvent ici un excellent prétexte pour tailler des croupières à l'idée de terroir et souligner au contraire le rôle essentiel de l'homme dans la naissance d'un grand vin. Alors winemaking ou terroir idéalisé ? Le débat est biaisé. On sait parfaitement qu'il n'y a pas de prédestination du grand vin et que celui-ci est le fruit d'un "entêtement de civilisation." C'est dire que le vin se trouve à la charnière d'une histoire au sens large (anthropologique, géologique, climatique, économique, technique) et de la culture. Pour synthétiser la problématique, on peut avancer que la notion de terroir est un complexe intégrant la géologie, la topographie, le climat et le travail de l'homme. Tous les "terroirs" ne se valent donc pas et, sans ces données fondamentales, le plus brillant winemaker, sauf peut-être à disposer d'une baguette magique, ne pourra pas transformer le plomb en or. S'il n'y a pas de prédestination du grand vin, il existe des terroirs plus aptes à produire de grands vins. A l'homme et au temps de les révéler.
Précisons encore que le vignoble bourguignon ne se réduit pas à sa partie centrale, cette longue bande de terre longue de moins de 50 km qui court de Santenay à Dijon, mais couvre une superficie de près de 30 000 ha d'Auxerre à Mâcon. Ses deux extrémités, un peu moins connues, sont pourtant la source de vins blancs qui parfois n'ont rien à envier à ceux de la Côte de Beaune : le Chablis et le grand Auxerrois dans la partie nord avec leurs vignobles de coteaux bordant la vallée du Serein font la part belle au chardonnay qui puise une énergie particulière dans les terroirs du kimméridgien, étage du jurassique supérieur. Tout au sud, à la frontière du Beaujolais, le Mâconnais se distingue lui aussi par son terroir calcaire (sols bruns calcaires et sols bruns calciques du Jurassique moyen et supérieur). Dans ses plus beaux climats situés à l'ouest et au sud de Mâcon, le Mâconnais est la source de grands blancs lumineux capables, eux aussi, de rivaliser avec leurs cousins du Nord. On y retrouve le gamay (banni de la Bourgogne depuis 1395 par Philippe le Hardi) qui annonce déjà le Beaujolais.
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