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Ce sont les Papes qui, lors de leur installation à Avignon au XIVe siècle, ont révélé le terroir de Châteauneuf. Sous le règne de Jean XXII, le village de Châteauneuf devient la résidence d’été de la papauté car il est régulièrement balayé par le mistral, ce qui en fait un lieu de vie estival beaucoup plus agréable que le palais d’Avignon, soumis à de fortes chaleurs. Pour l’anecdote, il est aujourd’hui jumelé avec la ville de résidence estivale des Papes en Italie, Castel Gandolfo. Quant au précieux nectar élaboré en ces lieux, il accède au rang de « Vin du Pape » : une consécration qui lui ouvre la porte des grandes cours européennes !
Visionnaires à plusieurs titres, les vignerons de Châteauneuf-du-Pape expédient dès la fin du XVIIIe siècle leurs vins en bouteilles en lieu et place du tonneau. Un nouveau pas vers la conquête de la notoriété est franchi. Conquérants, mais également en avance sur leur temps, les vignerons de Châteauneuf-du-Pape sont à l’origine du système de l’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée), la raison d’être et le succès de la viticulture française. Dès le début du XXe siècle, ils ont été les premiers à s’imposer des règles de production strictes et inédites.
Revenons, plusieurs siècles en arrière, à l’arrivée de la vigne et sa domestication dans cette région. Les premières cultures de vigne ici datent de la colonisation du littoral méditerranéen par les explorateurs grecs, vers 600 av. JC. A partir de cette époque et jusqu’à la sécurité apportée par la pax romana, le Rhône a constitué la voie commerciale idéale, la seule constamment opérationnelle et ce pendant des siècles. La période romaine a vu l’essor de la production locale afin de subvenir aux besoins des légions de l’Empire et des Gaulois eux-mêmes, grands consommateurs de leur production nationale. Nos ancêtres ont ainsi acquis rapidement une grande réputation dans la maîtrise de la vigne (plantation, greffage, taille) ; mais ils ont aussi su apporter leur lot d’innovations techniques comme le remplacement de l’amphore par le tonneau en bois qui fut une grande avancée. Après la chute de l’Empire, c’est l’Eglise qui va contribuer à assurer le maintien, sinon l’essor d’une production de qualité. Bénédictins, Chartreux, Templiers, Hospitaliers, bien implantés dans la vallée, reprennent à leur compte la culture de la vigne. L’arrivée des Papes à Avignon en Mars 1309 va assurer la reconnaissance dans le monde chrétien des vins issus de Châteauneuf. Résidents pendant presque un siècle, ils vont œuvrer à l’agrandissement du vignoble et à sa renommée dans le monde entier, avant de retrouver le siège de Pierre à Rome. En 1860, l’épidémie de phylloxera est un coup d’arrêt brutal à l’expansion du vignoble, celui-ci ne retrouvant son niveau antérieur qu’après 50 ans de dur labeur.
De nouvelles techniques d’implantation et de greffe, la recherche patiente d’améliorations qualitatives par la mise en place des premières règles de production ainsi que le regroupement autour d’une identité commune conduisent à la création en 1935 de l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine). L’AOC Chateauneuf-du-Pape sera officiellement créée le 15 Mai 1936 et fera partie de la liste des toutes premières AOC avec Arbois, Tavel et Monbazillac. Plusieurs personnages ont eu un rôle déterminant dans l’avancée du vignoble.
Ancien pilote de chasse de la Première Guerre Mondiale, le Baron Pierre Le Roy de Boiseaumarié se marie en 1919 avec l’héritière du Château Fortia à Châteauneuf-du-Pape. Éminent juriste, il va aider les vignerons du cru à refonder le paysage viticole local. Fondateur du syndicat des vignerons de Châteauneuf-du-Pape en 1924, il obtient en 1933 un jugement qui définit les caractéristiques de l’appellation dont on s’inspirera quelques années plus tard pour fonder le système des AOC. La même année, avec le gastronome Curnonsky, il fut à l'initiative de la création de l'Académie du vin de France.
Intransigeant en ce qui concernait la qualité du vin de Châteauneuf-du-Pape, selon lui, seuls les sols où poussaient la lavande et le thym (les sols les plus pauvres donc) pouvaient donner naissance à un grand vin ! Créée en 1937, l’armoirie sur les bouteilles de Châteauneuf-du-Pape participe à leur promotion et à leur notoriété, elle est aussi une marque collective.
Grande de 3200 hectares et trônant à 120 mètres d’altitude, adossée sur son flanc ouest au Massif du Lampourdier, l’AOC Châteauneuf-du-Pape s’érige fièrement au cœur de la plaine du Comtat Venaissin. La présence du Rhône rappelle que l’histoire de ce vignoble est intimement liée à celle du fleuve. Il y a des milliers d’années, les mers intérieures des ères secondaires et tertiaires déposèrent des couches successives de sédiments, qui forment aujourd’hui le sous-sol du vignoble. Puis, sous l’effet des glaciations quaternaires, le Rhône va entrer dans une course folle. Détruisant tout sur son passage, il parvient à arracher des blocs de pierre du flanc des Alpes. Poli par l’eau, ce diluvium Alpin fut déposé aux endroits où le courant ralentissait, notamment à Châteauneuf-du-Pape. Les galets roulés (aussi appelés caïau frejaü), l’une des marques de fabrique du terroir de l’appellation, ont la particularité de restituer aux vignes la chaleur emmagasinée au cours de la journée : ils participent ainsi à un parfait mûrissement des baies et ils empêchent également le développement de certaines maladies, l’eau s’évaporant à leur contact. Le sous-sol est le plus souvent constitué d’argile rouge. Pour s’alimenter en eau, la vigne peut s’y enraciner jusqu’à trois mètres de profondeur. Deux autres terroirs composent le vignoble de Châteauneuf-du-Pape. A l’ouest, des sols de roches calcaires dures avec des sous-sols d’argile ou des formations de grès molassiques. A l’est, des sols de coteaux sableux, formés par le retrait du Rhône et qui s’étagent entre zones boisées et plateaux caillouteux.
Pour élaborer leur vin, les vignerons jouent sur cette diversité en combinant les différents terroirs et les cépages autorisés dans le cahier des charges de l’appellation.
Plus que du substrat qui les recouvre, la qualité des terroirs de Châteauneuf-du-Pape provient essentiellement de son sous-sol composé de molasse burdigalienne.
La colline calcaire de Châteauneuf-du-Pape a longtemps été exploitée pour fournir de la chaux. Cette activité a donné le nom initial du village : Châteauneuf-Calcernier, ce qualificatif signifiant « chaux tamisée ».
Dominé par le château servant auparavant de résidence d'été aux différents Papes, le vignoble s'est rendu célèbre par ses treize cépages. Le grenache est le plus souvent majoritaire dans les cuvées. La syrah et le mourvèdre contribuent à donner une couleur soutenue et une palette aromatique plus riche (exceptions notables, le Château Rayas est par exemple constitué à 100 % de grenache provenant de très vieilles vignes). Il existe aussi quelques cuvées avec une majorité de syrah ou de mourvèdre (Château de Beaucastel). Le fait que l’on retrouve un grand nombre de cépages dans l’appellation est dû au complantage en vigueur au début du siècle ; ils sont autorisés seuls ou en assemblage.
Petite particularité du vignoble, les vendanges sont obligatoirement faites à la main (pas de mécanisation). Étant donné que l’on retrouve une majorité de grenache dans le vignoble, ce dernier étant taillé en gobelet, la mécanisation y est souvent impossible. La syrah, introduite plus tardivement sur l'appellation est conduite sur fils et en taille guyot. Pour tous les autres cépages de l'appellation, c'est la taille en gobelet à deux yeux par courson, avec un maximum de quinze yeux francs par cep, en plus du bourillon. Le rendement autorisé par l’appellation a été fixé à 35 hl/ha, un rendement plutôt bas en comparaison des rendements moyen des AOC françaises. C’est également justifié par les caractéristiques climatiques régionales, avec des étés très chauds, sinon torrides, et la présence du mistral en provenance du sud, qui participent à la maturation des cépages. Les essais de vinification mono-cépage ont démontré que ces vins ne peuvent atteindre une qualité élevée et donner la véritable expression du terroir (à l’exception de quelques-uns…). En revanche, l'assemblage de plusieurs variétés permet d'obtenir un parfait équilibre entre acidité, alcool et tanins. Le grenache noir représente la plus importante proportion, il est assemblé avec le mourvèdre et la syrah la plupart du temps. L’ajout de cinsault va permettre aussi l’apport de finesse. L’assemblage des différents cépages sur les bonnes parcelles donne naissance à des grands vins de garde, qui « truffent » en vieillissant. Plusieurs domaines possèdent une cuvée en mono-cépage mais c’est rarement la cuvée principale du domaine. Concernant l’élevage des vins, on se trouve sur un schéma plutôt classique avec une utilisation de foudres, de fûts, de demi-muids, de cuve béton ou inox. Chaque domaine travaille avec les matériaux qu’il juge bon pour magnifier ses vins et souligner son style.
Sur l'aire d'appellation, ce sont aujourd’hui 320 châteaux et domaines qui exploitent le vignoble. La taille des exploitations peut varier de quelques dixièmes d'hectare (Clos des Terres Blanches) à plus de cent hectares. Le Cellier des Princes, à Courthézon, est la seule cave coopérative de l'appellation.
Joyau du vignoble Français, l’AOC Châteauneuf-du-Pape jouit d’une excellente réputation et possède encore de beaux jours devant elle, bien que les conditions climatiques actuelles et à venir donnent du fil à retordre à la culture de la vigne et à la vinification. Les vignerons font face à de nombreux défis et s’adapter est la seule option. Songer à réviser par exemple le cahier des charges des AOC, inadapté sur certains points aux conditions climatiques actuelles et futures, n’est pas quelque chose d’impensable …
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