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La naissance du vignoble de Bordeaux remonte au premier siècle de notre ère au moment où une peuplade de guerriers celtiques, les Bituriges Vivisques, arrivés à Burdigalia depuis un siècle, décidèrent de créer leur propre vignoble en y plantant un cépage plus résistant au climat atlantique, le Biturica, ancêtre des cabernets. Sans doute la pax romana fut-elle propice à cette création de ce vignoble, seule réponse à la mainmise des commerçants romains sur l'approvisionnement en vins de l'emporium de Burdigalia.
En dépit de sa situation de ville portuaire bénéficiant d'une ouverture naturelle vers l'Angleterre et les pays du Nord, Bordeaux devra pourtant attendre plusieurs siècles avant que sa réputation de productrice de vins de qualité soit établie. C'est au XIIe siècle que le destin des vins de Bordeaux va se jouer. Très précisément en 1152, avec le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt, roi d’Angleterre, qui va marquer l’avènement des vins de Bordeaux comme produit de consommation quotidienne autant que comme produit de luxe. Afin de répondre à une demande importante, encore accrue par ce qu'on a appelé "Le privilège de Bordeaux" et qui constituait un redoutable protectionnisme, la région de Bordeaux se couvre alors de milliers d’hectares de vignes. Ce commerce – sans doute le plus important de tout le Moyen Age – va également modeler la géographie viticole du Sud-Ouest, en amont de Bordeaux, notamment tous les noyaux viticoles situés à proximité des fleuves : Cahors, Gaillac, etc.
Il faudra toutefois attendre le début du XVIe siècle pour assister à l’émergence du Médoc comme vignoble de qualité. On distinguait à cette époque deux types de vins produits, les clairets (appelés clarets par les anglo-saxons) et les vermeils, plus tanniques et contenant une importante partie de vins de presse. Il faut également souligner ici le rôle important des Hollandais dans l'essor des vins de Bordeaux, tant sur le plan technique (ce sont eux qui ont permis la mise en valeur des grands terroirs du Médoc par des drainages importants) que sur le plan commercial.
1677 apparaît comme l’année symbolique de naissance des grands vins de Bordeaux. Pour la première fois, il est explicitement fait mention des caractéristiques singulières d’un vignoble. C’est celui de Haut-Brion décrit par John Locke en visite dans la région. Les graves profondes et maigres, les croupes et les vieilles vignes analysées avec une intuition géniale par le philosophe anglais constituent même l’acte fondateur de la notion de cru.
Un siècle plus tard, en 1787, Thomas Jefferson dresse la liste des quatre premiers crus du Bordelais : Margaux, La Tour Ségur (Latour), Haut-Brion et Lafite (Lafite-Rothschild). Le Siècle des Lumières se traduit pour les vins de Bordeaux par une ouverture vers le monde et, notamment, vers les îles d'Amérique qui va contribuer à la prospérité de Bordeaux comme emblème du commerce de vins en France. Une mutation viticole extraordinaire s'opère dans les Graves et le Médoc et le new french Claret va s'imposer comme le nec plus ultra en matière de raffinement gustatif, notamment auprès de l'aristocratie anglaise. C'est à cette époque également qu'apparaissent les premières bouteilles bouchées et scellées au château.
Etabli sur la base de mercuriales (cours moyen du tonneau calculé sur un certain nombre d'années), ce Classement (qui ne prend en compte qu'une partie des vins de Bordeaux) semble graver dans le marbre les crus qu'il recense puisque, excepté l'accession en 1973 de Mouton-Rothschild au rang de 1er cru classé, aucun autre changement n'a eu lieu depuis 166 ans... Autant qu'un terroir, ce sont donc une propriété, une réputation, un savoir-faire dans la durée qui sont classés. C'est ce que cherche à intégrer le Classement des vins de St-Emilion mis en place en 1955 et, en principe, révisable tous les dix ans et dont les dernières modifications ont connu un véritable imbroglio juridique.
Alors terroir ou marque ? On peut dire que le vignoble de Bordeaux élargit la notion de terroir – que l’on a parfois trop tendance à réduire au sol et au climat – en y intégrant l’intervention de l’homme : « Le vignoble de Bordeaux est de fait très curieux. Les Graves et le Médoc, par exemple, ne sont absolument pas des sols à vignes. Au départ, ce sont des sols très acides. La vigne étant une plante de sol calcaire, elle n’aurait normalement jamais dû y être implantée. On ne disposait pas d’engrais à l’époque. L’homme a donc apporté des argiles calcaires, des marnes prélevées le long de la Dordogne, et ce jusqu’à cent tonnes à l’hectare », commente Claude Bourguignon.
Qu’est-ce qu’un grand terroir ? C’est celui qui permet une maturité complète mais lente (par sa pauvreté) des cépages qui y sont cultivés et qui atténue aussi bien les effets d’une pluviosité que d’une sécheresse excessives. Le sous-sol bordelais est composé de calcaires éocènes non continus avec des teneurs en argile assez élevées – les marnes. Les textures de sols capables de produire des grands vins peuvent varier considérablement, de même que la nature de la roche-mère. En revanche, on observe une unité structurelle au niveau de la macroporosité des sols capables de produire des grands vins. Cette macroporosité joue un rôle essentiel en ce qui concerne le drainage, évitant ainsi la stagnation de l’eau au niveau des racines.
Malgré le désamour qu'il a pu générer ces dernières années (Bordeaux bashing) en relation avec le prix himalayen de certains de ses vins, malgré la crise endémique qui pèse hélas sur une partie du vignoble qui avec 118 000 ha de vignes est parmi les plus importants, mais aussi les plus hétérogènes de France, Bordeaux demeure un phare dans l'horizon des grands vins. A savoir ceux qui font preuve d'une réelle aptitude à se bonifier avec la durée. C'est aussi un "laboratoire" des pratiques exceptionnel, tant sur le plan agronomique qu'œnologique, qui suscite recherche, expérimentation et émulation permanentes.
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