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primeur (achat en)

Texte suivant de Franck Dubourdieu, œnologue-consultant, reproduit avec son autorisation :

La vente des grands crus bordelais en primeur aux particuliers est depuis 1975 le prolongement d'une pratique historique entre le négoce et la propriété, pour réserver les vins après la récolte. En général, elle s'adresse aux crus classés et assimilés (200 crus environ dont 170 Crus Classés, 5% de la surface, 3% de la production), des crus ayant fait la preuve depuis de longues années de la supériorité de leur terroir. 

L'intérêt de cette pratique s'affirme pour les grands millésimes compte tenu de l'augmentation notable du prix lors de la livraison deux ans après. L'appréciation qualitative d'un vin six mois après la récolte n'est qu'un aperçu. Le vin est en barrique et l'assemblage définitif n'est pas toujours réalisé. Il reste parfois à décider des répartitions entre grand vin, second vin et troisième vin, des proportions de vin de presse à ajouter, etc. De plus, pendant douze à dix huit mois d'élevage en barrique, le vin va subir diverses manipulations (soutirages, collage et filtration), jusqu'à la mise en bouteilles. Ainsi, pour évaluer le plus objectivement un vin en primeur, il faut impérativement tenir compte des paramètres suivants:

1/ Les conditions climatiques du cycle végétatif et spécialement celles des vendanges.

2/ La réussite relative (maturité, état sanitaire, rendement, etc.) de chaque cépage et sa participation en pourcentages dans le grand vin.

3/ La dégustation du vin: couleur, arômes, structure, densité, fruit, qualité de la texture tannique, persistance, ainsi que les prémisses de la finesse, dont en particulier l'équilibre et la profondeur de la flaveur, etc.

4/ Le niveau du terroir, par la connaissance de son expression dans les millésimes antérieurs, ce qui autorise une filiation du vin nouveau avec des millésimes plus vieux au profil comparable.

5/ La réputation du cru: plus la marque est connue, moins on est en droit de penser que le vin pourrait ne pas être à la hauteur de l'expertise initiale. L'achat en primeur relève donc d'un acte de confiance.

Un avis sur la qualité d'un vin en primeur revient à faire une synthèse de tous ces facteurs afin d'imaginer sa qualité potentielle quand il aura atteint sa maturité optimale.

Tout jugement en primeur, centré exclusivement sur l'immédiateté du goût, à l'aune des caractères de structure (puissance, densité, concentration), sans tenir compte du passé, juge suprême du terroir, est un non-sens. Il amène à promouvoir artificiellement des crus ou des cuvées spéciales à des niveaux qu'ils ne méritent pas. Il n'est plus un secret que, pour faire illusion au moment de ces dégustations, certains oenologues proches des médias appliquent toutes sortes de recettes pour gonfler, sinon farder les vins. Ces manipulations, non reconnues par la tradition, donc éloignées des pratiques communément admises dans les plus grands chais, fabriquent du prêt à plaire: le paradoxe d'une hyperconcentration et d'un charme racoleur associé - un malheur n'arrive jamais seul - à une imprégnation forte par le bois de chêne neuf et ses adjuvants de chauffe. L'avenir du vin, sa qualité future, est la moindre des préoccupations de ces techniciens-gourous; ce qui compte à leurs yeux c'est obtenir une bonne note auprès de certains dégustateurs étrangers et de vendre le plus cher possible.

Cette façon de juger, chère à des critiques anglo-saxons, relayée par des journalistes français sous influence (le «gustativement correct»), pour démocratique qu'elle soit, voire-même mondialiste, proclame haut et fort un déni de terroir. Sauf à produire des effets médiatiques et à mettre en avant des crus qui n'ont encore rien démontré; cette conception de la dégustation n'est pas conforme à l'éthique du grand vin dont le niveau de qualité véritable se révèle au cours du vieillissement. Elle est à même de nuire à l'image des plus grands Bordeaux dont l'aura tient fondamentalement à l'historicité du vin en bouteille.