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Vin de glace

Ce nectar venu du froid reste méconnu car ce vin liquoreux, produit principalement enAutriche, enAllemagne et au Canada, est élaboré à partir de raisins blancs tardifs gelés sur pied. C'est donc une question de climat qui en permet sa production. Ce breuvage précieux séduit de plus enplus les amateurs.

Il s'appelle vin de glace, se déguste frappé et recèle dans ses flacons mordorés de délicats arômes de rose, d'épices et de fruits secs. Il est rare et précieux. En septembre dernier, aux ventes de Trèves, en Allemagne, les plus acharnés des enchérisseurs n'ont pas hésité à monter jusqu'à 1'000Euros pour acquérir une seule des inestimables 300 demi-bouteilles du millésime 1996 d'Egon Müller. Les deux dernières cuvées de vin de glace du viticulteur sarrois, connu pour faire les vins les plus chers du monde, remontent à 1998 et 2002.

Aujourd'hui, seul un petit nombre de vignerons téméraires est prêt à risquer sa récolte pour quelques gouttes de cet or sucré, produit en quantité symbolique les années où la nature clémente veut bien épargner les grappes jusqu'au cœur de l'hiver. Là réside en effet tout le secret de ce vin liquoreux élaboré à partir de raisins blancs tardifs (généralement du riesling), brutalement gelés sur pied. C'est en Moselle allemande, vers la fin du XVIIIesiècle, que les hommes, surpris par des gelées précoces et obligés de presser des baies glacées, découvrirent accidentellement le procédé de fabrication de cet élixir. La tradition s'est ensuite installée dans d'autres régions au climat propice, au Luxembourg, en Autriche, en Slovénie, où la morsure du froid succède à la brûlure du soleil et vient parfaire la concentration des sucs. En 1973, un Canadien, Walter Hainle, tenta l'expérience en Colombie-Britannique. Riche idée: la greffe a si bien pris que le pays est devenu le premier producteur mondial de vin de glace, l'icewine, aux saveurs toutefois un peu différentes.

Le Canada, eldorado du vin de glace:

Hasardeux sous les latitudes européennes, le vin de glace a trouvé son eldorado au Canada. Les hivers précoces et rigoureux de l'Amérique septentrionale assurent aux vignerons de l'Ontario et de la Colombie-Britannique un taux de réussite qui frôle les 100%. L'élaboration étant moins risquée, le vin canadien se monnaie à des prix plus abordables (à partir de 100€ les 75cl). Il est aussi plus alcoolisé (au-dessus de 10degrés) et plus sirupeux: le cépage employé, le vidal, un hybride à la peau épaisse, ne lui confère ni la finesse ni les arômes du riesling. Ses notes sont plus lourdes, à tendances exotiques: ananas, litchi, mangue... Sans complexes, les Canadiens ont élargi leurs expériences hivernales avec un inédit et excellent cidre de glace, qui commence à séduire de notre côté de l'Atlantique. Toujours selon le même procédé, certains de nos cousins d'Amérique s'essaient aujourd'hui aux mousseux et... aux vins rouges!

L'icewine a longtemps laissé de glace l'Union européenne, qui en interdisait l'importation. Le Vieux Continent l'a découvert à Vinexpo en 1993, grâce au domaine Hillebrand, premier ambassadeur du Nouveau Monde. Mais il a fallu près de dix ans de lobbying pour parvenir à un accord, en avril 2001. Signe du dégel, une dizaine de producteurs canadiens étaient présents à Vinexpo lors des trois dernières éditions. Dans l'engouement général du Salon 2003, la maison canadienne Inniskillin de Niagara Peninsula a même raflé le prix du jury Découverte.

Quand le givre blanchit la vigne et recouvre les carreaux, l'heure des vendanges approche. Elle n'a pas sonné tant que le thermomètre n'est pas tombé au-dessous de -7degrés C. Il faut parfois attendre jusqu'à -10, voire -12, pour que la glace emprisonne enfin ce qu'il reste d'eau dans les grains passerillés sur souche: plus forte est leur teneur en sucre, plus basse est leur température de congélation. Or, chaque jour qui passe augmente le risque de tout perdre. Malgré les filets de protection et les enveloppes de cellophane déployés sur les rangs pour protéger le raisin, c'est un miracle si les grains qui doivent rester sains survivent aux intempéries, aux maladies et aux prédateurs. Quand la météo l'autorise enfin, les vignerons sortent à l'aube, parfois de nuit, pour recueillir ces fruits de l'hiver, rabougris mais indemnes. Ils savent qu'ils ont de l'or au bout de leurs doigts gourds. En Autriche, le tocsin sonne parfois à 2heures du matin pour appeler tout le village. Et les habitants se précipitent à la vendange pour avoir simplement le bonheur de goûter le nectar l'année suivante. La récolte est immédiatement et délicatement pressée sur place et dans le froid, car les fruits ne doivent surtout pas décongeler. L'eau, retenue dans les paillettes de glace, est séparée de la quintessence du raisin: un jus sucré et acide s'écoule alors goutte-à-goutte des pressoirs pneumatiques. Les rendements atteignent à peine quelques centaines de litres à l'hectare. En comparaison, le vignoble alsacien produit 7'000 litres de vin sec pour la même surface. La fermentation du moût ensuite est longue et difficile, ralentie par la concentration de sucre. Les vins allemands dépassent rarement 10degrés d'alcool, et certains atteignent même difficilement 6degrés, pour 200 à 300grammes de sucre résiduel, à la différence des 60 à 120grammes pour les sauternes.

Aujourd'hui, une poignée de vignerons alsaciens qui n'ont pas froid aux yeux se sont lancés dans l'aventure, bien que la législation française ne reconnaisse pas l'appellation «vin de glace» (pas plus que l'Office international de la vigne et du vin, mais les principaux pays producteurs - Autriche, Allemagne et Canada - se sont entendus sur une charte commune). Seppi Landman, spécialiste des vendanges tardives et des expériences vinicoles pas communes, s'y est essayé avec du riesling, et également avec du gewurztraminer et du sylvaner. L'original de Soultzmatt n'a pu mener à bien que cinq millésimes, réussissant sa plus belle cuvée en 2001, par -10degrés C. En 1999, il avait dû ronger son frein jusqu'au 28janvier avant de vendanger son audacieuse récolte. Deux ans auparavant, les cieux avaient été moins cléments: les filets de protection s'étaient effondrés sous le poids de la neige.

À l'initiative de ces vignerons, les amateurs ont peu à peu découvert ce vin précieux. Et, depuis 2001 (date à laquelle l'Union européenne a autorisé l'importation de la production canadienne), les ventes ne cessent d'augmenter. L'hiver est bien installé, c'est l'heure des vendanges: le moment idéal pour goûter ce produit de saison.

Pratique:

Icewine canadien

Château des Charmes 1999 (vidal), 37,5cl: 59€ chez Couleurs Québec (VPC), 02-99-62-00-70, www.couleurs-quebec.com; 73€ chez Fauchon, 30, place de la Madeleine, Paris (VIIIe), 01-47-42-95-40.

Domaine Inniskillin, Gold Oak Age Vidal 2002, 37,5cl: 97€. Sylver Riesling 1999, 37,5cl: 95€. Vins du monde (VPC), 02-40-56-75-75, www.vinsdumonde.com

Eiswein allemand

DrLoosen Bernkasteler Lay 2001, 75cl: 95€ chez Vivavin (VPC), 03-80-22-77-04, www.vivavin.com

Schloss Johannisberg, Blaulack 2001, 37,5cl: 139€ chez Vins du monde (VPC), 02-40-56-75-75, www.vinsdumonde.com

Rheingau Schloss, Blaulack 1999, 37,5cl: 153,90€ chez Lavinia, 3, boulevard de la Madeleine, 01-42-97-20-20, et aussi chez Lavinia, Schloss Lehrensteinsfeld, riesling 1995, 37,5cl: 41, 20€.

Weingut Selbach-Oster, Bernkasteler Badstube, 1996, 50cl: 93,75€; et Zeltinger Himmelreich, 1993: 122,55€.

Vin de glace français

Seppi Landman, 20, rue de la Vallée, 68570 Soultzmatt, 03-89-47-09-33. Sylvaner 1999: 180€ ; riesling 1990: 200€; gewurztraminer 1993: 230€.

Cidre de glace

Neige-La Face cachée de la pomme, 50cl: 39€ chez Couleurs Québec (VPC), 02-99-62-00-70, www.couleurs-quebec.com. Aussi au Lafayette Gourmet, 48, boulevard Haussmann, Paris (IXe), 01-40-23-52-25. 24,30€ les 20cl, 29,70€ les 37,5cl.

Source: Léa Delpont dans L'Express 15/01/2004 - adaptation PhM.