Retour C'est grâce à l'esprit éclairé de quelques bordelais et de marchands anglo-saxons que sont créés au XVIIIe siècle les nouveaux "clarets". Vers 1630 des Hollandais s'installent à Bordeaux et initient la jeune génération de maîtres de chai à de nouvelles techniques d'élevage des vins en barrique (ouillage, soufrage, collage au blanc d'œuf, soutirage, tirage au fin). Un pas supplémentaire est franchi en même temps avec l'idée géniale d'Arnaud de Pontac propriétaire de château Haut-Brion de produire un vin rouge "nouveau", issu d'une cuvaison longue des cépages rouges exclusivement, alors qu'auparavant les cépages rouges et blancs étaient mélangés. Cette heureuse initiative correspond à une période pendant laquelle le commerce vers les pays anglo-saxons bat de l'aile et des boissons nouvelles, "les tisanes coloniales": thé, café, porto, xérès, malaga concurrencent le claret de conservation fragile. À la vinification d'un vin peu coloré, peu tannique, de faible longévité, se substitue lentement la technique de macération plus longue du raisin. On assiste à l'avènement des grands crus dont l'élevage en barrique correspond à un élevage plus long et améliorateur. Il existe un lien étroit entre cette mutation, faisant apparaître un vin coloré, riche en extrait et pouvant se conserver, avec la recherche de goûts raffinés de la "high society" londonienne. Les premières mises en bouteilles des vins de Bordeaux sont réalisées en Angleterre à la fin du XVIIe et les amateurs se piquent au jeu de les conserver et de les déguster, aussi vieux que possible. Vers 1800 apparaît la forme bordelaise presque définitive de la bouteille qui permet de la coucher, de l'empiler et au vin de mieux vieillir. On ne tarde pas de s'apercevoir à Bordeaux, à l'instar des premiers amateurs anglais, que les bouteilles couchées, étroitement bouchées par du liège, se conservent plus longtemps et surtout s'améliorent. Ainsi naquit le dégustateur. On ne parle plus de vin de Bordeaux, de graves, de palus, mais d'un vin de cru. La production se personnalise. Les vins de Margaux, Lafite, Latour, Haut-Brion créent un événement sans précédent à la cour d'Angleterre et ouvrent la voie de la notoriété des vins de Bordeaux. Cependant, la conservation des vins en barrique était aléatoire à cause des maladies auxquelles ils étaient sujets. Outre le génie de Pasteur, il fallut des générations de chimistes, puis d'œnologues pour que soient connus tous les soins nécessaires à l'élevage et à la bonne conservation du vin. Jusqu'en 1945, les châteaux vendaient aux négociants en barrique à cause du coût exorbitant de la bouteille, du liège et de l'avance de trésorerie. Les négociations des Chartrons élevaient les vins de crus dans leurs chais et les bonifiaient, selon leur destination, en y ajoutant des vins d'aide, surtout les mauvaises années, des vins dits "médecins", provenant de régions viticoles plus ensoleillées du sud de la France, d'Espagne ou du Maroc. Bien avant que la législation mette un terme à ces pratiques, un homme de génie, décida de changer le cours de l'histoire des vins de Bordeaux. En 1925, le baron Philippe de Rothschild, jeune propriétaire de Château Mouton Rothschild, fit une déclaration qui secoua le négoce bordelais mais qui, en raison de la crise (1929) ne fut véritablement appliquée qu'en 1945: «oui je proclame la mise en bouteille intégrale au château du vin de Mouton Rothschild, à jamais, sans exception, tous les ans, de toutes les récoltes». Alors progressivement la mise en bouteille au château devint obligatoire pour tous les crus classés, puis pour les crus bourgeois et pour les grands crus de Saint-Émilion.