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Femmes - Vigne et Vin

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L’avis de Gilles Fumey, géographe : 

La vigne, c’est féminin. Mais le vin est-il féminin ? 

Aussi loin qu’on remonte dans le temps, on trouve des textes sur les tabous qui entourent la consommation de vins par les femmes. Le Livre des Juges, dans la Bible, est explicite : « L’ange de l’Éternel répondit à Manoah : la femme s’abstiendra de tout ce que je lui ai dit. Elle ne mangera rien du produit de la vigne, elle ne boira ni vin ni boisson enivrante, et elle ne mangera rien d’impur » (9 :13-14) et nombre de textes signalent des sanctions sévères jusqu’à la peine de mort, chez les prêtresses de Babylone sous le règne d’Hammurabi (1792-1750 av. J.-C.) qui pouvaient être enterrées vivantes. Pourtant, dans l’Antiquité grecque, des femmes appelées Bacchantes étaient les prêtresses de Dionysos et, en Mésopotamie, c’était la divinité Siduri Sabitou (dont le nom veut dire celle qui verse à boire) qui initia Gilgamesh à la dégustation du vin. Malgré les mythes et les codes très stricts de certaines sociétés, les femmes aimaient et buvaient du vin, à la seule condition de ne pas atteindre l’ivresse. Ovide (L’art d’aimer, livre III) mettait en garde une jeune femme sur la boisson dans les banquets : « Encore faut-il que ta tête puisse le supporter, que ton intelligence et ta démarche n’en soient pas troublées, que tes yeux ne voient pas double. »Selon J.-P. Corbeau, sociologue de l’alimentation, le tabou féminin sur le vin serait lié à l’incompatibilité avec la fonction reproductrice de la femme (confirmé par la science moderne qui souligne des prévalences d’alcoolisme chez les enfants nés de mère buvant de l’alcool), la souillure du vin pensé comme un produit divin par le sang menstruel et l’image d’une boisson enivrante pour femmes sans morale, comme les prostituées, les femmes adultères. Mais ces tabous sont tombés dans les pays occidentaux au XXe siècle. Les femmes consomment et produisent du vin, la seule mention de « vin de femme », pas toujours péjorative, signalant des vins plutôt fins et flatteurs au palais. 

En buvant moins de vin que les hommes, elles boivent mieux. Ce sont elles qui font évoluer le vin du fait qu’elles sont ciblées par le marketing. Bering Blass a lancé White lie Early Season, vin destiné aux femmes, moins alcoolisé et moins calorique. Cela pour rappeler que les hommes et les femmes ne sont pas égaux face au vin, l’addiction à l’alcool étant plus faible chez les femmes (41,5%) que chez les hommes (58,7%), même si la réaction à l’alcool des femmes varie selon des incidences hormonales.

Aujourd’hui, une très grande majorité des achats de vins sont faits par des femmes, dont certaines, dans les pays anglo-saxons, pensent le vin comme une boisson anti-bière (connotée masculine). Vinexpo a réalisé une enquête en 2005 rapportant que 63% des femmes consomment du vin une fois par semaine. 

La grande nouveauté de ces dernières décennies est, sans doute, c’est la montée en puissance des femmes dans les métiers du vin. De nombreuses femmes sont devenues célèbres pour leur invention. Telle Amicie de Fréminville, œnologue depuis l’âge de 23 ans, qui a breveté « l’amibulles » pour doser le gaz carbonique dans le vin. Françoise Rigord, en Provence est passée des médias à la Commanderie de Pyerassol, un ancien établissement des Templiers depuis 1256. Chantal Pegaz est avocate et les réglementations sur les fraudes par cœur. Maryse Allarousse, meilleure sommelière de France, célèbre pour son nez et ses papilles qu’elle met, avec son mari, au service des clients de leur restaurant. À Collioure, ce sont deux vigneronnes, mère et fille, Maguy et Laetitia Piétri-Géraud, sur un domaine de 35 hectares, aimant raconter aux visiteurs qu’elles « élèvent leurs vins comme un enfant ». Au Québec, le vin se fait en couple, mais les femmes mettent leur nez dans les barriques : Monique Morin (et Étienne Héroux) à Napierville, Line Fortier (et Jean Joly), avec un excellent vin de glace à Havelock, et surtout, Christiane (et Victor Dietrich-Jooss) à Iberville. Les sommelières excellent au Québec, mais aussi en Suède, et elles sont majoritaires dans les associations nationales dans ces deux pays. 

En France, Pierrette Agulhon, Françoise Le Calvez, Sylviane Lepatre, Chantal Lecouty et Chantal Comte, toutes dans la profession (œnologues, sommelières, ingénieures) sont d’accord pour accorder à la femme plus de nez que de bouche, l’éducation et la maternité semblant encourager les femmes à développer leur odorat. Mais point de vin masculin ou féminin, seule la perception qu’on en a compte, avec des adjectifs qui n’ont pas de connotation sexuée : fin, aromatique, charpenté, élégant, parfumé. De la poésie, rien que cela. 

Paru dans Le Monde du 11 décembre 2008.Gilles Fumey - URL pour citer cet article : http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=810 

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Le site de l'Association Wine Women World répertorie avec précision toutes les associations de femmes liées au vin dans le monde soit, plus de 33 pays (état 2011).