Dans les grandes maisons de champagne, le chef de cave est responsable de l'élaboration du champagne, en particulier des assemblages et de la recherche du fameux «goût-maison». Il y parvient en organisant de fréquentes dégustations, auxquelles participe un collège de collaborateurs. Il s'agit presque toujours du numéro deux de la maison, immédiatement derrière le grand patron. En Champagne, sa tâche se complique car on ne millésime pas chaque année. Le chef de cave doit donc gérer les vins de réserve issus des vendanges précédentes, dont chacun interviendra avec ses caractéristiques essentielles dans l'assemblage des bruts sans année (BSA). Il faut donc savoir jongler en virtuose avec les stocks, autrement dit, ne mettre en jeu qu'un peu de ce qui est rare, mais beaucoup de ce qui reste en abondance dans les cuves ou les foudres. Tout cela, bien entendu, en respectant le style-maison qui fait qu'un amateur de Dom Pérignon le préfèrera toujours à un Veuve Clicquot - et inversement - même si l'un et l'autre appartiennent à un seul propriétaire: Moët-Hennessy. Il n'est pas rare qu'un assemblage soit issu d'une centaine de vins différents, parcelles, cépages et vendanges confondus. Contrairement aux maîtres de chai d'autres régions, le maître de cave champenois n'en a pas encore fini de ses compliquées missions. Il lui incombe de soumettre au collège directorial de la maison, où il parle d'une voix très écoutée, plusieurs propositions d'assemblages pour la liqueur de tirage, ajoutée au moment de l'embouteillage. Elle associe sucres et levures en proportions savantes et secrètes, pour déclencher dans le flacon une deuxième fermentation, tout le secret de la méthode champenoise. Puis, après le dégorgement qui suit le remuage et qui permet d'éliminer les dépôts formés dans la bouteille, de compenser le niveau par un ajout de vin de réserve et d'une certaine quantité de sucre (la liqueur de dosage) qui va définir le dosage final (brut ou demi-sec). On se doute bien, qu'après un tel cheminement, nul ne connaît aussi bien le flacon mis sur le marché que le maître de cave lui-même. Pour peu qu'il sache en parler, on le mettra encore à contribution pour la promotion auprès de la presse spécialisée, des importateurs ou des dépositaires les plus influents pour la maison. Ainsi, lui faut-il maîtriser à la fois le savoir-faire du vigneron, la science de l'œnologue, celle du chimiste et du physicien, les bases de gestion comptable, quelques dons affirmés pour l'analyse et la prévision et le sens inné de la communication, et pour finir un flair d'expert en marketing. Pour le chef de cave savoir-faire et faire-savoir sont désormais indissociables.