Livraison offerte dès Fr. 300 d'achat ou 18 bouteilles, sinon Fr. 15
Interview avec Michel Moutounet (MM) avec Montserrat Daban et Míriam Cañas de Percepnet (P).
Michel Moutounet est Directeur de l’Unité de recherche Biopolymères et Arômes de l'Institut des produits de la vigne, INRA. Sa recherche vise à approfondir les connaissances sur les polymères du raisin et du vin et étudier les relations entre leurs propriétés chimiques et leurs propriétés technologiques. En particulier, il a parlé dans le contexte des conférences techniques de Firavi sur les polyphénols, qui exercent une influence déterminante sur la couleur des vins, et qui leur confèrent une grande partie de leurs propriétés organoleptiques.
(P) Il y a quelques semaines, nous avons publié à ACE Magasin d’Œnologie, un article de Guillem Roig et Stéphane Yêrle sur dix ans de microoxigénation. Vous avez à quelques occasions évoqué avoir développé ce processus, et depuis Patrick Ducourneau est venu vous exposer son idée de mettre au point d'un appareil qui permettait d'apporter des microquantités d'oxygène au vin de façon contrôlée. Que pouvez-vous nous apporter au sujet de ce processus ?
(MM) Effectivement, nous avons échangé nos points de vue pour arriver à la création de l’appareil de microoxygénation. C’est une longue histoire, puis qu’on a mis quatre ou cinq ans à la mise au point cet appareil. Il est basé sur des études préalables concernant les échanges gazeux des vins en barrique. On a étudié la présence d’oxygène dissout dans le vin en barrique. C’est le principe de la création de l’appareil. Maintenant ça fait déjà quinze ans qu'il existe. En fait, grâce à la microoxygénation, on prétend pouvoir délivrer de l’oxygène dans des conditions similaires auxquelles se trouve le vin en barrique.
(P) Mais ça ne veut pas dire que la microoxygénation rend le processus plus rapide ?
(MM) Non, pas pour le faire plus vite. Malheureusement ou heureusement, ce n’est pas le cas et non plus l’objectif. L’objectif était : on considère, prenant comme exemple la France, que maximum 10% des vins sont mûris en barriques. Il y a environ 30% des vins, qui sont des vins de table consommés très jeunes. Ceux-ci ne sont pas susceptibles d’évoluer véritablement pendant un élevage. Donc, il reste encore un 60% des vins qui sont en cuve et qui méritent l’élevage. Et ce sont ces 60% qui nous intéressent, pour pouvoir les faire évoluer en élevage avec cette forme d’évolution oxydative, en maîtrisant la quantité d’oxygène apporté.
(P) Selon votre groupe, la recherche a démontré l’efficacité des ajouts contrôlés d’oxygène pour la stabilisation de la couleur et le développement de la structure des vins, de même que ses effets positifs sur l’expression aromatique, en éliminant des caractères herbacés ou végétaux et en renforçant les caractères fruités variétaux. Pourtant, quelle est l’influence de la microoxigénation sur l’astringence ?
(MM) vis-à-vis l’astringence, on a toujours constaté, et en particulière dans les vins très astringents, que l’opération de microoxygénation pendant trois ou quatre mois en moyenne, diminuait l’astringence. Je pense que ce n’est pas à cause d’une précipitation, mais c’est une modification de l’évolution des composés phénoliques, et notamment des tannins. La microoxygénation favorise des réactions, en particulière les réactions de condensation favorisant la production de l’éthanal, de l’acétaldéhyde, et qui créent des combinaisons et des organisations supramoléculaires des tannins qui font qu’on les perçoit comme moins astringents.
(P) Pourtant, que savons-nous à propos de la capacité d’évoluer des vins sujets à microoxigénation après un temps en bouteilles ? Quelles seront les conséquences de la microoxigénation sur les vins à long terme ? Ou, en revanche, ces vins ne vont pas rester longtemps en bouteilles ?
(MM) L’idée est qu’il n'y a pas de distinctions pour nous entre les vins qui méritent la barrique ou la microoxigénation. Selon l’expérience que nous avons acquise avec le recul, on a globalement la même réaction des vins en bouteilles qu’ils soient élevés en barriques ou qu'ils soient traités par microoxigénation.
(P) Est-ce certain qu'il n'y aura pas des surprises ?
(MM) Assurément non. Ce qu’il faut surtout savoir c'est que la quantité d’oxygène consumé pendant la microoxigénation est au maximum de 50 ml par litre. Il faut maîtriser que cette quantité d’oxydation soit bien apportée et consumée. C’est ce que nous devons garantir. Ensuite, si les réactions des vins sont quelques fois différentes, nous sommes en train de l'étudier, pour connaître les raisons de certaines interactions.
(P) Il paraît qu’on se dirige vers une œnologie moléculaire, mais y a des équilibres délicats. Peut-être ne connaissons-nous pas assez sur les métabolismes des levures ou de ce qui arrive au cours des fermentations avec les acides aminés ou d'autres réactions. Quand on touche à un paramètre, les autres se ressentent. Alors, peut-il se produire qu’un vin évolue bien et qu'un autre se comporte d’une autre façon ?
(MM) D’abord les principaux consommateurs de l’oxygène au niveau moléculaire sont les constituants phénoliques. Mais, dans une circonstance, notamment quand les vins restent turbides et qu’y a encore a des levures mortes, ces levures même en situation post-fermentaire ont gardé la capacité à consommer de l’oxygène. Et cette capacité de consommer l’oxygène, en termes de vitesse, est supérieure à celle des constituants phénoliques. Donc, à des moments donnés, l’oxygène apporté est consommé par ces levures. Alors, soit il faudrait pouvoir ne plus en apporter (difficile à contrôler, mais on y travaille), soit il faudrait séparer la phase d’élevage de la phase chimique en l'absence de microorganismes. Ce n'est pas bien compliqué, nous l'étudions encore. On peu séparer la biomasse des microorganismes dans un vin de manière à faire l’élevage avec des réactions chimiques. Par exemple, soit on thermotraîte le vin, et si ce n'est pas suffisant en présence d’oxygène, soit on fait de la filtration tangentielle et l'on élimine les microorganismes. C’est ce que nous travaillons aujourd’hui. Nous n'en sommes pas encore au stade application, mais on travaille déjà au niveau expérimental, dans des cuves de deux mille litres.
(P) Quel est votre avis sur la nécessité d’arriver à un consensus de pratiques œnologiques dans les deux grands blocs de pays producteurs, ceux du nouveau monde, maintenant au WWTG, et les payses européens, qui prônent le concept de vitiviniculture plus traditionnelle ? Par exemple y a certaines pratiques œnologiques, comme l’addition des chips de bois pour augmenter le contenu en arômes d’élevage qui sont maintenant objet d’un intense débat. Comment voyez vous son application ?
(MM) Cela fait l’objet d'une diatribe depuis trois ou quatre ans, mais la question est toujours posée. Personnellement, je pense qu'au niveau international il faut que tous les producteurs aient les mêmes possibilités technologiques. Alors, comment cela peut-il se passer ? Ou bien tous les producteurs ont la possibilité, puisque ça se fait déjà dans d'autre pays, par exemple, l’Australie ou le Chili (ils ont un avantage indéniable aujourd’hui). Donc, qu’est-ce qu’il faudrait faire ? Soit les producteurs européens qui le souhaitent, puissent y accéder, soit il faudrait pouvoir se donner les moyens (mais, au niveau politique c'est compliqué) d’interdire les produits qui ne respectent pas les pratiques autorisées. En ce moment, on est en contradictions avec l’égalité du commerce, comme le prévoient les organisations internationales.Mon opinion est établie depuis longtemps. En fait, j’ai deux positions opposées : une, la position de technologue, c’est à dire, si on a la possibilité de travailler avec des chips, ce qui est favorable pour un technologue c’est beaucoup plus facile qu’avec la barrique, parce qu'on aura une plus grande chance de réussir.En revanche, pour le consommateur que je suis, si un jour je viens en visite dans cette belle région du Penedès où je suis émerveillé par le paysage viticole et les caves et qu'on me fait goûter des vins en barrique, je les trouve très bien, ça m’intéresse, et je rentre chez moi, je les fais goûter à mes amis, puis chaque année je commande quelques bouteilles parce que ça m’a plu. J’ai en mémoire ce plaisir parce que c’est visuel, j’ai goûté les paysages, et puis si on m’apprend tout à coup que ces vins auxquels on ajoute des copeaux sont pour les touristes, comme consommateur j’ai une grande déception.Ce que m’intéresse avec la barrique, c'est que chaque barrique a un comportement individuel et pour le chimiste que je suis, c’est un réacteur spécifique, chaque barrique est un réacteur particulier. Donc, c’est pour ça que pour l’œnologie c’est une technologie d’assemblage. Cette diversité est une palette pour l’œnologue. Il pourrait chercher dans telle ou telle autre barrique, comme dans une cuve, pour faire l’assemblage. Un assemblage qui correspond à sa culture propre, son expérience propre, à son passé. Il connaît ces vins, leur réaction à cette barrique ou telle autre, il associe des barriques différentes pour créer ses grands cuvés.Dans le commerce y a des chips thermotraîtés, plus ou moins fortement toastés, avec des dimensions différentes, et là aussi on peut imaginer obtenir toujours plus d'expérience. Pour le technologue et pour l’œnologue, même aussi le consommateur, c’est vrai que le grand danger de cette affaire est d'arriver à une formulation du vin. C’est ça le problème, mais cette technologie est fonction des coûts. Les modifications technologiques sont toujours fonction de l’économie. On traite les vins avec tel ou tel produit, parce que, s’il y a un précipité au fond de la bouteille le vin ne se vend pas. Et donc, on essaie de résoudre ce problème en faisant de la chimie. Et là l’idée des chips provient que la barrique est d’un coût tellement élevé qu’on pense : « en mettant le vin en contact du bois, ça sera moins variable, pour un coût moindre ».
(P) Qu’est ce que vous voulez dire quand vous parlez de déterminer la sensation d’astringence ? Est-ce que ce sont les facteurs qui influent sur sa perception ? Quelle information donne l’astringence ? Recherchez-vous les mécanismes pour influencer cette astringence ?
(MM) En effet. C’est plutôt comment ça fonctionne et quelles sont les molécules impliquées de manière précise, toujours au niveau moléculaire.
(P) À ce propos, et selon les physiologistes, la saveur est l’addition des perceptions gustatives, olfactives et tactiles (dont l’astringence, la température, la sensation de sec ou d’acidulé, etc.). Alors, selon Jordi Llorenç, un physiologiste de l’Université de Barcelone, quant on veut faire une expérimentation qui n'agisse seulement au goût, il faudrait se boucher le nez. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? Il paraît que pour l’astringence, c'est obligatoire le faire, mais pas l'inverse, pour le goût.
(MM) Je pense que le goût est un problème d'entraînement du dégustateur. Pour les études que j’ai présentées en Australie, les experts-dégustateurs se sont réunis tous les jours pendant trois mois pour participer à cette étude. Ainsi l'on arrive à un panel d'experts qui a sa fiabilité. Ils sont désormais capables de distinguer odeur et saveur et astringence.
(P) Pourquoi croyez-vous que la théorie selon laquelle seules les différentes régions de la langue sont susceptibles de reconnaître les principales saveurs, alors que depuis longtemps cette théorie est mise en doute ?
(MM) Là je suis pas spécialiste des localisations. Je pense que statistiquement il existe des zones dans la bouche où l'on ressent mieux une saveur qu’une autre.
(P) Encore une dernière question relative à la taille des polyphénols, des tannins qui interagissent avec les protéines. Pourquoi, dans les vins jeunes dans lesquels les phénols sont plus simples et qui n'ont pas eu le temps de polymériser, l’astringence est plus grande que dans les vins plus vieux ?
(MM) Je pense que pendant longtemps en œnologie on a pensé qu'au cours du vieillissement, effectivement les tannins se sont polymérisés. Mais, je crois que l’explication vient du fait que les polymères produits pendant la phase d’élevage et du vieillissement sont différents de ceux des tannins issus de la biosynthèse. Nous les appelons les tannins natifs. Ils sont liés par des liaisons issues de la biosynthèse de la plante. Donc c’est une liaison 4,8 ou 4,6 qui fait le polymère. Puis, quand il se crée d’autres polymères dans le vin, leur liaison en termes numériques ne sont pas les mêmes. Puis, il y a les phénomènes d’oxydation qui donnent d’autres liaisons en termes numériques. Enfin, il y a l’implication des anthocyanes dans ces polymères. Donc, ça modifie la structure de ces molécules. On a toujours épicatéchines et catéchines, mais la liaison est différente.Moutounet a aussi nous fait apprendre pendant sa conférence que quand la quantité d’éthanol augmente y a une tendance à réduire les caractéristiques d’adhésion et de la sensation d’astringence, et même cette sensation c’est modifié par la présence des fractions de polysaccharides plus acides ou par l’addition des anthocyanes de la pellicule des raisins.
Extrait de "Rubes Editorial".