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esprit de vin 1

Mardi14 novembre 2006, émission « Le Fou du Roi » France-Inter

Bernard Pivotest devenu un ligneron. À la force du poignet. Longtemps cet échalas du verbefut une sorte de Nicolas du livre, taste-écrivain tenant boutique à latélévision, à l’enseigne «Apérostrophe» ou «Bouilleur de culture». Dégustateurà la langue bien pendue, oeuvrologue au goût très éclectique, allant du grandécrit bourgeois au gros pavé qui tache, il recevait à sa table desgrappes-papiers de renom, qui venaient présenter les meilleures feuilles deleur cru. Une sorte de réunion hebdomadaire et prestigieuse de gens de litre!Il y avait de tout: écrivains de palme, écrivains de messe, écrivains doux,écrivains pétillants, et même un ou deux écrivains cuits, par-ci par-là… Àforce de fréquenter à la fois la lie et l’élitre, l’ivresse livresque aidant,il tomba dans la cuve et se mit au goulot. Dois-je avouer qu’on m’a faitcadeau, la semaine dernière, d’une bouteille de sa dernière production. Unjéroboam. Le titre en est joli: «Dictionnaire amoureux du vin». On murmurequ’il y a des pages de garde, je l’ai donc religieusement descendu à la cave.Il va décanter. Et se bonifier. Il y a déjà un peu de dépôt. Mais pour unlivre, c’est tout à fait légal… Je l’ai bu en diagonale, entre les lignes,comme lui, jadis, avait sans doute lu bon nombre d’écrivains, entre les vignes…De toute façon, pas nécessaire de le boire pour le croire ! Mes amis qui l’ontgoûté disent que son bouquin a du bouquet, que l’on sort de son livre ivre.Grappes de mots, feuilles de lignes, pulpe fiction… j’ai juste bu l’étiquette,la 4e de couve, et je dois le dire, je n’ai rien recraché! Et s’ilne passe pas le demi-siècle, rien de grave. En matière de vin ou d’écriture,tout n’est que litres et ratures…

Foin du cholestérol

Des cyrrhos’s des ulcères

Et autres fariboles

Qui nous bouff’nt les artères

Sans vouloir faire école

Souffrez qu’en vers succincts

En ces temps de vach’s folles

Je défend’ les beaux vins

Au cep prenons le jus

Tournons, tournons cépages

Notre terre a reçu

Le vin en Hermitage

Irriguons nos caboches

Mêm’ si le navir’ tangue

Il y a papill’ sous roche

Et saliv’ sous la langue

Cent fois sur l’métayer

Remettons notre él’vage

La patrie vendangée

S’la pète sur nos breuvages

On a les côt’s rôties

Le foie aligoté

Et le citron Givry

Au vin nous sommes liés

Cassis orange ou mûre

On se crêp’ le Chinon

Mais au pied du Saumur

On ne voit pas l’Mâcon

Contre la sinistrose

Immergeons nos atomes

Dans un bouquet de Crozes

Tous les ch’mins mèn’nt arôme

ô vin donn’ moi tanin

Tes senteurs et ta flore

Le cœur a ses raisins

Que la raison dévore

J’en connais des Tokay

Que l’Pommard a tués

Pouilly et Gamay Graves

Au fond des Cabernet

Faits de « hic » et de broc

Le foie les yeux Bandol

Ils se bourr’nt de Médoc

Et tomb’nt dans les Pom’rol

Ils font des rêv’s vignobles

Qui rend’nt la vie moins terne

La pourriture est noble

Et les camions Sauternes

J’ai vu des paysans

Sublime action de grâces

Traiter sans ménag’ment

Leurs bouteill’s de Cornas

L’ivresse est éternelle

Ainsi vont les poivrots

Chasselas naturel

Ils revienn’t au goulot

Le vin te tient Anjou

Cert’s il brûl’ tes vaisseaux

Mais il embellit tout

T'es né con, tu Meursault

Ô fontain’ de Jaja

Je boirai de tonneau

Et persona grappa

Je tomb’rai dans l’Pinot

Enfin défiant les us

Je mourrai dans ta lie

Pointant chez St Pétrus

Gardien du paradis

Viv’ la treille muscate

N’en déplaise aux bornés

Des plans vigi-picrate

Qui’interdis’nt de humer

Râclons les fonds d’terroir

Ils ont valeur d’icône

Plaçons nos abreuvoirs

Sous les auspic’s de Beaune

Y’a du moût dans l’pressoir

Du moelleux dans les cuves

En attendant l’grand soir

Noyons nous dans l’effluve

Quant à notre invité

Devrais-j’ dire aviné

Sanglier mariné

Pilier de bauge-olais

Elevé bien au chai

Au pampre et au bib’ron

Tout juste agrémenté

D’un filet d’jus d’litron

Vieux démon du Lyonnais

Eminent boute-en-trinque

Diplômé A.O.C.

Niveau Bacchus plus cinq

Souffleur de verr’ ballon

A ch’val sur l’étiquette

Champion de tir’ bouchon

Nelson mais pas piquette

Licheur de millésime

Aïe barrique barrique

Suceur de pousse-au-crime

Et d’acid’ chimérique

Notre prince sarment

A le vin subversif

Brandissant les arpents

D’un château beaujolpif

Pivot: un’ langu’ de fer

Dans un goût de velours

Levant bien haut son verre

A l’esprit Saint-Amour

Don Quichott’ du Beaujo

Pourfendant l’adjuvant

Luttant corps et boyaux

Pour le Moulin à vent

Il va la bouch’ Fleurie

Solide comme un Chénas

Beuglant les yeux Brouilly

In Pivot veritas

Deviser pour Régnié

Telle est sa conviction

Il roul’ ceintur’ bouclée

A la place du Morgon

Jamais il ne dira

Que le Chablis est naze

Mais il vous soutiendra

Que le Juli-e-nas

Il n’a pas l’feu au cru

Mais si certains piss’nt dru

Lui pour sûr il Chiroubles

Jour et nuit il s’imprègne

Gustation in vivo

S’il y a des dents qui baignent

Il pêch’ même en vin trouble

Ce sont les dents à Pivot.

                                           

Cher BernardPivot, vous avez pris, page 370 de votre dictionnaire amoureux, un grandrisque. Révéler publiquement la présence, dans votre cave, d’une jeunette de 45ans, rare comme un diamant, une solitaire, à la robe acajou, au nezéblouissant, à la bouche ample, et je ne parle ni de son parfum, ni de sajambe, ni de son corps… Alors, profitant de la fin de ma chronique, j’y glissediscrètement une pensée «bonus», totalement intéressée… Si ce modeste hommageau vin, est, ou plutôt fut, de votre goût, qu’il me soit permis d’imaginer quele jour où vous déboucherez cette fameuse bouteille de Romanée Conti 1961 quiattend patiemment son heure, en espérant que ça n’est pas déjà fait, je puisseme glisser parmi vos amis, et prendre un avant-goût des épices, du musc, dumoelleux, bref, de l’opulence… du paradis! Ce n’est pas une faveur que je vousdemande, ce n’est qu'une saveur…

 

VINCENT ROCA

Né à Bregenz, àl'extrémité est du lac de Constance (Allemagne) en 1950.

Qu'on se le dise, Vincent Roca selance dans le visuel! Magicien du verbe, dompteur de vocables, contorsionnistede phrases, il nous entraîne dans son labyrinthe de mots-miroirs et l'on seperd avec plaisir dans le chapeau-claque de ce Fou du Roi.

Dans l'esprit de ses chroniquesconcoctées pour l'émission de Stéphane Bern sur France-Inter, Vincent Roca abâti tout un spectacle sur quelques thèmes qui lui tiennent à coeur: la langue,bien sûr, qu'il passe à la moissonneuse-facétieuse-gratteuse, l'enfance, usineà rêves et à épines, les ravages de l'humain d'élevage ou l'amour en peau dechagrin… Bref, Dieu, la vie, la mort et deux trois autres petitesréjouissances.

Attention, Vincent se laissealler, il fait dans la dentelle, on le connaît, mais aussi dans l'acidesatirique, pratiquant la chute ascensionnelle, l'éboulis verbal, voire l'art dela fougue grâce à la complicité de Pierre-Marie Braye-Weppe et son violon àpédales, le tout dans la Gaîté, comme il se doit.

Sans oublier, la cerise sur leplateau: Vincent chante aussi, des couplets fraîchement sortis de son atelier àphrases…

 

Enfilez un chapiteau de gaîté, etinstallez-vous en bout de piste!