Cornas est situé sur la rive droite du Rhône, à la hauteur de Valence. Elle est la dernière des appellations rouges des Côtes du Rhône septentrionales, en descendant vers le sud.
Les travaux du vignoble sont manuels ; seules les parties planes proches du village peuvent être mécanisées. Les sols sont rarement travaillés sur les parcelles de coteau, les risques d’érosion étant élevés. Ces sols ont peu de capacité de stockage en eau notamment, et les racines sont en contact direct avec la roche, qui est très proche de la surface voire affleurante.
Voici maintenant les vins commentés, en suivant l'ordre de service.
Une approche « nature » :
Cornas « Terrasses du Serre » 2006 Domaine du Coulet, Matthieu Barret : il va lentement s'ouvrir sur le cassis, le poivre, avec des nuances de violette. Entrée en bouche caressante sur un grain fin, frais, assez ciselé et civilisé dans la forme, texture satinée enveloppant une trame ferme et nerveuse. Allonge très respectable avec une pointe d'astringence en finale qui signe la jeunesse de la cuvée. Très jolie bouteille pleine de charme, et qui en a encore sous le pied !
Cornas « Billes Noires » 2006 Domaine du Coulet, Matthieu Barret : il sera lent à révéler ses notes de graphite et poivre noir. On passe à un tanin plus volumineux que le précédent, mais immédiatement moins accessible : l'expression de bouche est ferme, saveur légèrement sauvage, corsée. Parlant un langage strict, puissant et pur, il ne manque ni de fond ni de potentiel. L'ensemble devrait permettre aux amateurs sages de très belles émotions dans les années à venir. Attendre, ou carafer 2 heures.
Visions « contemporaines » :
Cornas « Vin Noir » 2005 Domaine du Tunnel, Stéphane Robert : arômes bien mûrs (effet 2005 ?) de goudron, cassis confit, évoluant sur des notes légèrement lardées, orientales. Attaque crémeuse et soyeuse, tanin patiné et enlevé, bien travaillé par le vinificateur. L'ensemble est opulent, généreux, l'alcool perceptible graissant sans doute la texture du vin : la dureté immédiate de certaines cuvées du village semble gommée mais il est important de noter que l'on ne perd pas l'âme du cru. Finale légèrement retenue, qui ne donne pas encore à cette bouteille l'allonge qu'elle mérite. Patience.
Cornas « Vieilles Fontaines » 2006 Domaine Voge : notes poivrées caractéristiques des syrah de la commune, enrobées ici par un toasté un peu sensible et ostentatoire dans la présentation. Tanins soyeux et enrobés sur l'attaque, fruit bien mis en évidence, l'ampleur et le velouté sont travaillés, de l'allonge, de la race, mais le fût et le moka reviennent au palais. Ces interférences de bois vont elles se fondre un jour ?
Cornas et bois neuf :
Cornas « Vignes en Coteaux » 2006 Tardieu-Laurent : premier nez légèrement sanguin, évoluant sur les épices douces avec le côté oriental que l'on trouve souvent chez Tardieu : des senteurs finalement assez discrètes, mais séductrices. Attaque délicate et fine, le fût est présent et fusionne avec le fruit, il s'entremêle à lui et participe à la complexité sans déborder ni jurer. Ce vin ne présente aucune aspérité de bout en bout, il est juteux, assez « évident » et très bien fait. Du plaisir de suite.
Cornas « La Sabarotte » 2005 Domaine Courbis : nez caramélisé, boisé, confituré dans l'expression du fruit. Tanin travaillé et très assoupli, bois perceptible, l'ensemble se réclame flatteur, comme si le vinificateur avait cherché à simplifier le « travail » et plaisir du dégustateur, l'alcool est présent (effet 2005 à nouveau ?). C'est mûr, gras, très enrobé, mais on cherche un peu l'âme du vin de cornas. Finale boisée avec une saveur de charbon un peu forte. Il faut aimer.
Le Chaillot a-t-il une âme ?
Cornas « Chaillot » 2005 Franck Balthazar : premier nez un peu animal avec une légère touche de vernis à ongle, mais derrière on devine du fruit. Bouche délicate, fruitée, manquant légèrement de punch, mais on peut se demander si ce voile gustatif n'est pas à attribuer à la légère déviance aromatique. En dehors de ce grief, j'apprécie la construction de cette cuvée et la volonté du vigneron de produire un vin classique misant davantage sur le squelette que le muscle. Ah, si la pureté avait été là !
Cornas « Chaillot » 2005 Thierry Allemand : passé une petite réduction lardée, on entrevoit derrière une légère touche de vanille des notes de fruits rouges assez intenses. Grande intégration du tanin à la texture du vin sur l'attaque, cuvée fruitée possédant un côté aérien et digeste assez épatant, pas de lourdeur d'alcool comme nombre de 2005 mais plutôt un naturel d'expression réjouissant. De la dentelle de syrah, à mille lieux de l'image de vin dur qui colle aux basques de Cornas.
Cornas « Cuvée des Coteaux » 2004 Robert Michel : passé un premier nez légèrement gentiane, on découvre ensuite des senteurs particulièrement émouvantes de rose fanée, de violette et de graphite. L'attaque est transcendante de finesse, le vin est vraiment sapide, s'exprimant – là encore – avec grand naturel au palais, et juste ce qu'il faut de retenue dans la livraison du fruit pour que l'on puisse croire en ses capacités de garde. Finale légèrement « vendange entière » confirmant les prédispositions de ce vin à la garde. Une main de fer dans un gant de velours.
Le « style traditionnel » est il dépassé ?
Cornas « La Geynale » 2004 Robert Michel : nez racé, très profond : orange sanguine, violette, encens, zan, et bien d'autres choses. Attaque prenante et parfaitement pleine, la vinification en vendange entière n'empêche pas la douceur et le soyeux, bien au contraire. Le vin est puissant, doté d'une vraie âme, opulent mais sans alcool tangible, comme s'il on avait extrait au maximum l'esprit du lieu et du raisin en évitant un quelconque surpoids. Ensemble puissant, dynamique, du sang de granit qui sait rester frais et élancé. Grande bouteille, à garder et à réouvrir dans 10 ans avec respect et plaisir sur un plat digne d'elle. Bravo !
Cornas « Reynards » 2006 Thierry Allemand : premier nez qui « Reynarde » fortement (arôme de poivre noir caractéristique de ce quartier) : on devine une forte personnalité rien qu'en le humant. Grande bouche mûre, large, aux tanins lisses et soyeux, très poivrée également dans la saveur. Kaléidoscopique dans l'expression, il cristallise toutes les qualités que l'on est en droit d'attendre des vins de la commune, avec un grain de tanin d'une noblesse et originalité difficile à surpasser. Sacrée force dans l'allonge, et finale sur la violette et le clou de girofle. Tout grand.
Cornas 2006 Domaine Clape : ouverture sur la mûre fraiche et la ronce, avec un volume de fruit impressionnant évoluant sur le goudron et un confit assez noble. Attaque remplie, forme opulente de prime abord, mais le fond est encore austère et très cornassien, la sève est cachée, sous-jacente. Ensemble rentré mais d'une noblesse d'expression déjà évidente. On saluera au passage l'art difficile de l'assemblage qui ici révèle toute la qualité et le soin de l'élaboration, tant la construction de ce vin a permis une bouteille de très belle complétude. Sur le sujet, revoir d'ailleurs ce que Jean-Louis Chave disait ICI
Remerciements sincères à Robert Michel, Matthieu Barret et Stéphane Robert pour le temps qu'ils ont bien voulu me consacrer, et tout ce qu’ils m'ont appris.
Je voudrais aussi rendre hommage à l'un d'entre eux, merveilleux vigneron, aujourd'hui à la retraite, un homme aux qualités humaines évidentes, dont la passion n'a d'égal que le respect qu'il a pour ses pairs. Ce monsieur, c'est Robert Michel, mousquetaire de la première heure. On lui doit entre autres la mise en valeur du terroir de la Geynale, mais surtout toute une génération de jeunes vignerons qui aujourd'hui font notre bonheur, les Guillaume Gilles, Thierry Allemand, Vincent Paris, j'en passe : ils ont tous appris chez lui, à son contact. Un maître discret, heureux de donner de son temps et de parler du travail des autres avant le sien !
18 Comments
Je vois que Mathieu Barret a piqué le tee shirt d’E.Reynaud – King of Grenache – ?!
Un pied de nez qui sied bien à cet iconoclaste convaincu et convainquant !
Je li le texte avec plus d’attention et on en recause …
Je n’aime pas trop le diktat du bois chez Voge.
Du coup, les vins (epu spontanés et raidis) peuvent se confondre avec le Chinon (et c’est très fâcheux dans les concours à l’aveugle) 🙂
Clape 2006 (re)bu en juin 2009 : lumineux ! 16,5/17 bien sonnés !
Allemand Reynard 2005 (17/20) et Chaillot 2005 (16,5/20) superbes.
Qu’en est-il de la Geynale 2007 d’Allemand, un fort beau vin découvert dans le chai nid d’aigle (je croyais qu’il avait récupére les vignes de Robert Michel) ?
Chez Allemand, Chaillot = jeunes vignes, non ?
Beaucoup aimé le Cornas Balthazar 2003 (16/20) : pas noté de nom de cuvée.
La Geynale 89 de Robert Michel, rude, très organique, a mis énormément de temps à s’ouvrir.
Thierry Allemand a peut être récupéré un peu de la Geynale de Robert (qui est aujourd’hui à la "retraite"), enfin, c’est possible. Mais c’est Vincent Paris qui a récupéré le plus gros, il me semble.
Et c’est Guillaume Gilles qui a "hérité" de la vigne de Chaillot que Robert avait plantée de ses mains, après avoir façonné les terrasses que l’on voit sur la photo du haut. De dures mais grandes années de sa vie. Il en parle avec émotion. Un boulot de fou.
Je t’en dirai plus sur ses 89 prochainement, je le vois début décembre à l’occasion du marché aux vins de Cornas.
La Geynale peut être un très grand vin (je pèse mes mots), y compris dans des millésimes peu courus. Si tu as l’occasion un jour de goûter le 2002, tu me comprendras. Vendagé 13° nature, 40% de la récolte mis de côté afin de ne garder que le top. J’y ai trouvé toute l’âme des grands vins de la commune, et même un furieux air de grand Côte de Nuits, rose fanée, réglisse, un côté pinot, etc…
Geynale 2007 assez impressionnant chez Allemand (notes un peu confites, de l’alcool et de la mâche).
Moins fin que Téziers 2007.
Ces différences sont celles des terroirs : Téziers donne des vins fins (peu de sol), mais n’a pas l’assise tannique de Geynale (située en contrebas), en général.
Pour info cette dernière est le seule terroir de la commune à posséder un sol de PH neutre, les autres quartiers sont plutôt acides à très acides : le sol "bouffe" les échalas qu’il faut changer en moyenne tous les 7 ans… ou utiliser les affreux (mais pratiques) piquets blancs en plastique que l’on voit fleurir à droite à gauche !
Historiquement, on écrivait Genale, mais le nom étant déposé, Robert ne pouvait le revendiquer. Alors il a lui même déposé l’orthographe "Geynale".
Mais le mieux, c’est encore d’aller lui rendre visite pour qu’il te parle de tout ça, tu rencontreras un personnage "rare". A ce jour c’est mon coup de coeur de l’année, avec les vins d’un certain domaine du Haut Piémont…
Je vais d’abord aller du côté de Vosne et de Meursault début décembre.
Je dois aussi passer à Vouvray fin novembre, en Beaujolais, en Suisse, en Corse, retourner sur Porto …
Chez Allemand, une nette différence entre Téziers 2007 et Téziers VV 2007.
Il y a aussi Pigenonnier et barret Goumet, pour ceux qui ont la loupe idoine.
J’ai eu une rencontre charmante avec une bouteille de Cornas Chaillot 2005 de T.Allemand dernièrement et je suis pas trop loin de vos appréciations, que je découvre à l’instant même si j’avais lu votre article à sa sortie.
Ca me rassure sur le côté lardé du vin car je me suis demandé si mon amour du cochon ne m’amenais pas trop loin…
😉
Voici un extrait de mon article:
"Au bout de 3 hrs de carafe – minimum syndical – il se fond enfin en un tout dont on sent qu’il n’a pas fini de nous plaire. Le vin est gras et souple, puissant et rondement fruité.
Au nez, on commence à se prendre un mélange tendrement malaxé de fruits noirs, de lard frais et fumé, et d’olives aigrelettes."
Et la même chose en plus complet
secretsepicure.blogspot.c…
Il y a comme du Cornas dans l’air, ces temps.
Christophe Abbet, artiste-vigneron valaisan, me disait ce matin avoir bu récemment une très bonne bouteille d’une jeune vigneron de là bas, qu’il ne connaissait pas. Et fut surpris par le soyeux et la sapidité du vin. Et en granit, il s’y connait, le shaman de Martigny (copyright JAP).
Pas plus tard que ce soir, je faisais déguster la Geynale 2004 de Bob Michel en notre cave des Bastions. Vu avec une certaine gourmandise nombre de regards s’allumer, le nez sur le verre. Et que de gens me dire : "c’est marrant, je ne pensais pas qu’une telle délicatesse soit possible avec les cornas.. on dirait presque du Bourgogne…".
Puis vous, Antoine, sur ce Chaillot 2005 du discret Thierry Allemand, que apparemment avez kiffé (= adoré, je traduis pour le père Mauss).
Comme ça, on arrêtera peut être un jour de les bassiner, les meilleurs vignerons de la patrie du Vin Noir, en leur disant – la gueule enfarinée – que leurs vins sont bons mais trop fins, et donc "pas assez typés"…
Je sors d’une dégustation chez IVV, avec quelques 2007 qui nous ont régalés :
Côte-Rôtie Jamet 2007 : magnifique, élégant, raffiné – pas de traces de bois comme sur 2006
Allemand Chaillot 2007 : abordable
Allemand Reynard 2007 : profondeur insondable (j’avais goûté de tels pré-assemblages dans son nid d’aigle). Grande garde prévisible.
Clape 2007 : profond, plus solaire.
Gramenon 2007 : pas mal, très "nature", sur le fruit (dixit les 2 jeunes sommeliers présents), bien enfantin toutefois (à côté des autres vins) et des inquiétudes sur le vieillissement (cf les 2006).
Mordorée Reine des Bois 2007 : il faut aimer le porto.
Bu Chaillot 2005 le 10 février 2010 : très beau.
Nicolas,
Bu ce soir un très beau vin, fuligineux à souhait : Robert Michel Cornas Geynale 2002 (pensé Côte-Rôtie Jamet).
Bravo Laurent, excellent choix, ce vin est magnifique. J’ai rarement eu autant d’intensité florale sur des rouges comme chez Bob Michel et les tanins sont simplement superbes, présents, fins, pruineux avais-je pensé en goûtant.
Et en général c’est encore meilleur le lendemain, comme toujours chez Bob.
Tu vois quand tu es à c’qu’on t’dit !
NB : et rappelle toi que c’est un 2002, comme ça tu peux comparer avec les autres 2002 de la région que tu as bus, ou à défaut goûtés… si tu vois ce que je veux dire…
Un vin proposé par l’ami Philippe Ricard (qui nous a régalés avec quelques fleurons).
Ah oui, je vois très bien, Nicolas …
Mais j’adore Rayas 2002.
Et la Côte-Rôtie 2002 de Jamet bue chez Barbier fut très décevante.
Thierry Allemand a repris une partie de la Geynale et produit un remarquable 2007.
Quand à la Geynale 1990 de Robert Michel, elle fut longtemps très ingrate.
Laurent le féminin de "un gras" c’est "une grasse". A part ça je ne vois pas de qui tu parles
🙂
Armand,
Tu as mangé un clown ce matin ? 🙂
Ben oui, un tous les matins!
T’as qu’a demander à ceux qui savent.
Pour avoir pris des petits dèjes en tête à tête avec ABM, je confirme : c’est un Auguste tous les matins… plus les anecdotes qui vont avec, hein Armand…
😉
Très belle Geynale 1996 bue récemment.
Et dans le match Clape/Allemand (2005/1999), un somptueux Clape 2001 (18/20).