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avenir du vin

Michel Chapoutier, premier propriétaire d'Hermitage et vigneron emblématique en vallée du Rhône (200 ha en biodynamie): «Je crois au potentiel de l'agriculture biologique. La recherche fondamentale est indispensable pour que la viticulture française puisse disposer d'une alternative crédible aux traitements chimiques. Il faut investir beaucoup dans le bio pour obtenir une expression supérieure du terroir, lorsque les vignerons savent travailler. Ce n'est pas une garantie en soi, il suffit de constater le nombre de piquettes produites en bio! Mais heureusement, le tout chimique des années 1960 – 1970 est mort. Il croit dans un avenir au concept de la "terre vierge". Si vous cultivez en bio sur un terroir qui n'a pas été massacré par le "tout chimique", vous exacerbez l'effet de la démarche. Mais il devient rare de trouver ces terres vierges qui vaudront de l'or dans quelques années.»


Paul Draper qui a conduit Ridge au pinacle de la viticulture californienne, homme de l'année pour Decanter en 2000 et membre de l'Académie internationale du vin, affirme: «Actuellement, 90 % de la production mondiale de vin concerne des vins de type "boisson", qui ne reflètent aucunement leur lieu d'origine. Souvent ils sont issus de techniques retirant ou ajoutant des éléments, jusqu'à des ajouts chimiques ou de concentrés de fruits ou d'arômes. Même si ces vins sont meilleurs que les vins ordinaires d'autrefois, il s'agit tout de même de vins fabriqués. Le nombre de consommateurs éclairés augmente. Ils ne se contentent plus aux vins "boissons" dont l'objectif n'est qu'un bilan financier.
À l'avenir, les vins réussis seront dotés d'un objectif transcendant à long terme. Les vins des domaines et des cuvées, issus d'une compréhension de la place du vin dans notre culture, s'imposeront sur le plan pratique autant que symbolique.»


David Schildknecht, marchand américain de vin depuis un quart de siècle qui a rejoint l'équipe du Wine Advocate de Robert Parker, déclare: «Les appellations à la française ont de l'avenir», mais il faudra écarter les dangers du réchauffement climatique planétaire pour parer les risques d'un désastre économique et social. Pour la viticulture, cela signifie l'éventuel arrachage de vignes et autres changements de cépages. Il y aura d'une part, la sauvegarde et l'intérêt intenses pour les traditions culinaires, les dépenses pour la conservation des denrées devenues rares et autres cours et outils de cuisine. En contrepartie, il faut compter sur le développement du fast-food, de l'agriculture industrielle et la disparition des repas familiaux si utiles pour transmettre les traditions. Mais pour une poignée de passionnés, peut-être en nombre croissant, vont continuer à rechercher les vins d'élite du siècle passé en soutenant les viticulteurs qui s'imposent les règles du jeu dans leur partie avec la nature. Pour ce public de consommateurs exigeant, les vins artisanaux de la France resteront un trésor. La France continuera à exceller dans cette catégorie, mais elle est destinée à perdre sa place dans le peloton des vins boisson simples, au bénéfice de pays ayant une main-d'œuvre moins onéreuse et moins de scrupules pour l'utilisation des techniques industrielles et technologiques.»


Frédéric Engerer, gérant du prestigieux Château Latour: «Pour une gestion harmonieuse, il s'agit de mettre en avant la marque et l'identité qui distinguera les meilleurs crus des grands domaines et la plus grande transparence dans l'information diffusée. Aujourd'hui, on voit le développement des premiers crus à travers la force de la marque et aussi à travers leur identité. Je pense principalement à la communication active et passive, le terroir étant une évidence, c'est le style, la griffe d'un cru dans tous les millésimes d'un même château qu'il faut développer.
On voit déjà maintenant la recherche à produire des vins agréables à boire jeunes, par rapport aux millésimes anciens qu'il fallait attendre.»


Yves Bénard, nouveau président du Comité national de l'Institut national des appellations d'origine (INAO) déclare: «Rebâtir un esprit collectif». Le marché du vin est marqué par une surproduction mondiale, structurelle, annuelle de plusieurs millions d'hectolitres. Les vignerons doivent apprendre à mieux définir les attentes de la clientèle. Il faut bien segmenter l'offre entre les vins à plus de 15 dollars et ceux dont le prix se situe dans la fourchette de 5 à 10 dollars. Pour les premiers, la France et l'Europe possèdent une position de leader qui devrait perdurer. La question est posée pour la seconde catégorie, soit 90 % du marché. Ceux-ci forment le cœur de la gamme des vins du Nouveau Monde, une concurrence sérieuse, mais conjointement, une demande stimulant de nouveaux consommateurs. Il envisage donc une vague de réformes: création d'organismes de défense et de gestion; nouveaux cahiers des charges; réformes de l'agrément et de l'organisation commune du marché viticole (OCM); nouvelles conditions de production des appellations régionales qui font défaut, par exemple en Provence; densités de plantation, pratiques œnologiques; utilisation de copeaux; irrigation (conséquence du réchauffement climatique); remettre le collectif en route, car il est en panne.»


Federico Castellucci, directeur général de l'Organisation internationale de la vigne (OIV), l'avenir est réservé aux technologies propres et accessibles au public consommateur. Il affirme: «demain, le consommateur ne choisira plus son vin en fonction de l'origine; il aura à choisir entre les vins de cépages, les vins d'appellations et les vins de marques, ceci en fonction des occasions. Mieux informé, il sera aussi plus zappeur.
Du côté production, la concentration sera lente. Toute la viticulture dont le métier n'était pas du plein temps, par exemple, surtout en Italie, en Espagne et même en Suisse, cette viticulture est en train de prendre sa retraite, sans passer la main.
À l'avenir, à cause du réchauffement climatique, il y aura lieu de prendre des décisions, comme l'irrigation, encore interdite dans certains pays. L'irrigation ne servira pas à produire davantage, mais à sauver la plante. Ce sera de plus en plus important de suivre des technologies propres que le consommateur puisse connaître et comprendre.»


Daniel Lawton, courtier en vins à Bordeaux depuis 60 ans affirme: «Ma foi est en l'avenir des vins de Bordeaux, en défendant la liberté du consommateur. Après les affaires, je doute de l'avenir de certains classements. Le rééquilibrage en termes de goût devient nécessaire. Aujourd'hui les degrés sont plus élevés grâce aux efforts vitivinicoles. Le style des vins bien meilleurs qu'autrefois n'évoluera plus vers toujours plus de concentration, ce qui se ressent déjà maintenant (2007). Le marché demandera
Il y a cent ans, les grands vins étaient réservés à une élite privilégiée de connaisseurs. Maintenant, le public amateur est beaucoup plus large et connaisseur. Le vin, c'est un peu comme la musique, on peut l'aimer et ne pas vouloir la commenter. On peut donc aimer le vin sans passer pour un dégustateur averti. Désormais, il ne faut plus attendre des années avant de déboucher. N'ayons pas peur de goûter chaque année une bouteille pour découvrir son évolution. Le vin reste une expérience personnelle.
Certains classements vont disparaître, sauf celui de 1855. C'est à la fois un édifice historique. Ceux qui y sont classés ne veulent pas qu'on y touche, en se contentant de la place acquise. De toute manière, le prix de vente de ces vins rétablit un classement devenu inapproprié avec le temps. Plus ce classement vieillit, plus il devient prestigieux. On ne peut plus bousculer un édifice qui a fait si longtemps ses preuves.»


Angelo Gaja a démontré au monde entier la qualité des grands terroirs de son Piémont natal, comme en Toscane. Il explique les raisons qui porteront chance aux grands vins d'Europe: «Il faut réformer le régime des subventions communautaires. Si elles sont nécessaires à l'agriculture à cause des aléas climatiques, elles doivent rester occasionnelles. En revanches, les subventions structurelles qui favorisent la surproduction viticole sont néfastes. On peut continuer à aider dans ce domaine le monde coopératif si des impératifs de résultats positifs y sont associés. N'encourageons plus à coups de fonds public la production de vins destinés à la distillation. Des regroupements parmi les 33'000 viticulteurs italiens (le même nombre qu'en France) vont s'opérer ainsi que des regroupements naturels et des diversifications géographiques, en Europe de l'Est plutôt que dans les régions du Sud.
L'Internet va jouer un rôle majeur dans la distribution. La langue commune, l'anglais, va permettre de véhiculer plus aisément les messages du vin, en Europe, comme en Chine ou l'Inde. Notons que la production indigène de l'Asie se développera mais éveillera l'intérêt de nouveaux consommateurs. Il est plus facile de promouvoir des vins massifs, opulents que nos vins élégants; à nous de défendre en anglais la finesse de nos grands crus et l'Europe viticole, grâce à ses racines, devra se montrer plus conquérante et agressive.»


Bernard Pivot, homme de lettres, natif de Lyon, frère d'un vigneron du Beaujolais, a passionné les amateurs par la parution de son "Dictionnaire amoureux du vin". Il commente l'évolution des goûts tout en critiquant l'uniformisation des vins. «Le vin est par nature étroitement lié à notre civilisation occidentale. Désormais, les amateurs dégustent le vin en recherchant une satisfaction bien précise. Toutefois, s'initier au large spectre de vins proposés s'avère de plus en plus compliqué. En Alsace, ce sont des vins de cépage; en Champagne, des marques; en Bourgogne des climats; dans le Bordelais, des assemblages, etc. Parallèlement, les consommateurs ont de moins en moins bénéficié de la formation de leurs parents, et faute de temps, peinent à se cultiver. Pour accéder plus facilement à la connaissance est née cette fâcheuse tendance à réduire le vin à son cépage. Ce qui me désole ! Je constate que l'on élabore des vins de plus en plus sophistiqués, mais qu'à l'inverse, on ne retrouve pas cette finesse sur l'étiquette. Les œnologues deviennent de plus en plus compétents, avertis, alors que l'identité du vin s'appauvrit! Le modèle de consommation change, les usages du vin sont en constante évolution par une contestation permanente des rites. Ce modèle doit évoluer, comme la langue française évolue. Certes, il y a des phénomènes de mode, du snobisme ou du mimétisme. Mais n'y a-t-il pas du plaisir même dans le snobisme ?
Je pense que le public va réclamer des vins toujours moins chargés en alcool, plus friands et plus conformes à leur hygiène de vie. Même la notion de chaptalisation devient, avec le réchauffement climatique, obsolète.
Les producteurs devront s'adapter au marché, au goût des gens qui réclament des vins de plus en plus naturels, moins soufrés, faisant appels à moins de produits phytosanitaires. Cela s'entend, à mon sens, dans le contexte d'une agriculture raisonnée, biologique, ou à fortiori biodynamique.»


Jean-Robert Pitte, géographe et président de la prestigieuse Université de Paris-Sorbonne, nous explique pourquoi la notion de paysage viticole comptera de plus en plus dans le futur: «L'avenir du vin, c'est aussi la redécouverte de grands paysages viticoles qui sont un émerveillement pour les yeux et toujours présents dans de belles régions. La vigne et le vin sont des témoins de la civilisation; il faut donc préserver ces paysages et les vins qui en sont issus. Regardez la Suisse, dont le somptueux vignoble en terrasses de Lavaux, face au lac Léman vient d'être classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO (28 juin 2007). Voilà un magnifique travail de plusieurs siècles enfin récompensé. La France doit, dans ce domaine, faire des progrès. Si je faisais partie du jury de l'UNESCO, je voterais aujourd'hui contre le classement de la Bourgogne, que pourtant j'aime tant et qui est candidate. Mais il faut être honnête. Beaune a été défigurée par les lotissements; le centre de Nuits-Saint-Georges est étouffé par la circulation automobile. On ne s'en rend pas forcément compte au pied des vignes. C'est lorsque l'on se promène au sommet de la côte que ce spectacle blesse les yeux ! Il est grand temps de réagir et de se mettre au travail...»


Philippe Faure-Brac, Meilleur sommelier du monde et restaurateur, croit à la pérennité du vin, de sa vocation première: accompagner les repas. Il nous déclare: «Je souhaite avant tout que le vin demeure une boisson accessible à tous, pour tous les goûts et à tous les prix; qu'il préserve ses qualités: universalité, culture, partage. Nous sommes entrés dans une période où les très grand vins sont réservés à une élite fortunée. En moins de dix ans (env. 1996), les grandes bouteilles sont devenues des œuvres d'art qu'on collectionne. Ce phénomène s'accentuera avec le temps et la montée en puissance des pays émergents. Le réchauffement climatique va cependant bouleverser le quotidien de la viticulture et modifier le profil des vins, en mal pour certains, en bien pour d'autres. La consommation va évoluer. En France, les changements de générations, la mondialisation, vont faire sauter les clivages actuels entre les vins indigènes et les vins étrangers. L'avenir préservera cependant la vocation du vin, celle d'accompagner un repas. Cette tradition latine devra s'adapter; les hommes seront toujours plus exigeants en ce qui concerne leur alimentation.»

La Revue du vin de France N° 515 – octobre 2007